Vous trouverez ici des ressources autour de l’exposition « Le marché de l’art sous l’Occupation, 1940-1944 » pour vous permettre d’approfondir vos connaissances ou vos recherches sur le sujet.
Discours d'inauguration de l'exposition par Franck Riester
Mardi 19 mars 2019, le ministre de la culture, Franck Riester, est venu inaugurer l’exposition «Le Marché de l’art sous l’Occupation, 1940 – 1944». Il a pu découvrir l’exposition en présence de la commissaire et historienne de l’art Emmanuelle Polack.
Découvrez ici le discours prononcé par le ministre à cette occasion.
Rappel historique : « Aryanisation » économique et spoliation des Juifs en Europe
Dès 1933, le régime nazi jette les bases d’une politique d’exclusion économique contre les Juifs. Campagnes de boycott des entreprises appartenant aux Juifs et expropriations sauvages se multiplient avant qu’un dispositif législatif visant à déposséder les « entreprises juives » ne soit mis en place. Cette politique est exportée dans les territoires occupés et adoptée par les régimes alliés au Reich.
L’État français va donc intégrer ces principes dans le cadre de sa politique antisémite. Appelée « aryanisation » économique, cette politique d’État a pour but la spoliation systématique des entreprises, des commerces et des biens appartenant aux Juifs sur l’ensemble du territoire français en vue « d’éliminer toute influence juive dans l’économie nationale » (loi du 22 juillet 1941).
En France et plus largement en Europe, les spoliations furent un rouage essentiel du processus d’exclusion des Juifs, qui facilita ensuite la mise en œuvre de la « Solution finale de la question juive ». La spoliation systématique des entreprises et des biens appartenant aux Juifs est engagée dès 1941 sur l’ensemble du territoire français. De l’identification des Juifs et de leurs biens jusqu’à l’ « aryanisation » de ces derniers par la vente ou la liquidation, c’est un processus administratif efficace basé sur un arsenal législatif légal, qui se met en place en France, impliquant non seulement un nombre important d’administrations, mais également de larges pans de la société.
L’importance de cette politique a longtemps été oubliée, écrasée par l’assassinat de masse dont elle a, à bien des égards, facilité l’accomplissement. Au cours des années 1990, le sujet a intéressé un nombre toujours plus grand de chercheurs, dans un cadre universitaire ou dans celui de commissions, comme la « mission Mattéoli » en France, mises sur pied afin de répondre aux questionnements de plus en plus importants liés à la dévolution des biens appartenant aux victimes de la « Solution finale ».
Le pillage des biens culturels
Il est important de bien identifier tout ce que regroupe l’expression « biens culturels » : œuvres d’art (tableaux, sculptures, esquisses) mais aussi les livres, les manuscrits, les collections d’objets de valeur, les instruments de musique, les partitions. Il ne s’agît donc pas uniquement de tableaux de maître mais bien de tout ce qui constituait le patrimoine culturel des Juifs d’Europe et qui sera spolié par les nazis, aux familles comme aux marchands et collectionneurs juifs sous l’Occupation.
Dès le début de l’Occupation, les Allemands réquisitionnent des appartements de familles juives et stockent les biens qu’ils y trouvent avant de les envoyer en Allemagne. Sous l’autorité d’Alfred Rosenberg, qui est chargé à partir de 1940 de la confiscation des œuvres d’art et des bibliothèques volées aux Juifs à travers l’Einsatzstab Reichsleiter Rosenberg (ERR), ont lieu d’important pillages, notamment de bibliothèques, mais aussi d’archives et de collections artistiques, sans l’accord des autorités françaises.
Après la guerre, l’action de Rose Valland permet de récupérer des milliers d’œuvres spoliées en Allemagne. La Commission de récupération artistique (1944-1949) permettra à 45 000 œuvres de retrouver leur propriétaire, 2000 seront confiées à la garde des musées nationaux de récupération (MNR), et 14 000 seront vendues par l’administration des Domaines. Les œuvres confiées aux MNR se trouvent toujours dans certains musées, comme au Louvre, au Centre Georges-Pompidou et dans des musées de province. La plupart n’ont jamais été réclamées car beaucoup d’ayants droit ignorent que leur famille a été spoliée.
Une Commission pour l’indemnisation des victimes de spoliations (CIVS), a été créée en 1999, elle est rattachée aux services du Premier ministre. La CIVS pour mission d’informer les victimes juives et leurs ayants droit sur le sort des biens qui leur ont été spoliés sur le territoire français sous l’Occupation, tant par l’occupant allemand que par les autorités de Vichy, et de proposer des mesures d’indemnisation appropriées à chaque cas (pillages de mobiliers, de matériels professionnels, liquidations d’entreprises commerciales ou artisanales placées sous administration provisoire, confiscations d’objets de valeur et de bijoux, spoliations d’œuvres d’art ou avoirs bancaires).
L'atelier de provenance
Les recherches de provenance sont indissociables de la discipline de l’histoire de l’art. En ce sens, il s’agit pour l’historien de l’art de retracer scientifiquement la chaîne de transmission des propriétaires successifs d’une œuvre d’art depuis sa réalisation jusqu’à sa localisation actuelle. Pour retracer ce parcours, l’expert dispose des catalogues raisonnés des artistes, des catalogues de ventes aux enchères, des archives des galeries, des archives publiques (commissaires-priseurs, musées), de diverses bases de données, etc.
La problématique de l’art spolié est devenue, depuis le milieu des années 1990, l’enjeu central des recherches de provenance. Les acquisitions réalisées sur le marché de l’art depuis 1933 en Allemagne nazie et dans les pays annexés ou occupés doivent présenter une provenance claire. Si des informations manquent dans l’historique des propriétaires, c’est l’origine de l’objet culturel qui peut être douteuse et conduire à s’interroger sur une éventuelle spoliation.
Dans l’exposition, une salle sera dédiée à la recherche de provenance. Emmanuelle Polack, commissaire scientifique de l’exposition, y proposera (deux dimanches par mois et sur rendez-vous uniquement) des sessions d’informations. Ces rendez-vous permettront aux familles ayant réclamé des œuvres ou ayant été victimes de pillages et spoliations pendant la guerre de venir recueillir des informations auprès de la spécialiste.
Pour prendre rendez-vous, contactez Emmanuelle Polack à l’adresse provenance@memorialdelashoah.org.
3 questions à Emmanuelle Polack, commissaire scientifique de l'exposition
Avez-vous une idée du nombre d’œuvres spoliées aux familles juives et transférées en Allemagne entre 1940 et 1944 ?
« Au total, sur 100 000 œuvres et objets d’art transférés depuis la France en Allemagne pendant les années d’Occupation, 60 000 ont été récupérés dès l’immédiat après-guerre. Parmi eux, 45 000 ont été restitués, entre 1945 et 1950, à leurs propriétaires ou ayants droit ; 13 000 objets d’art ont été vendus par les Domaines soit le ministère des Finances ; tandis que 2 000 œuvres Musées Nationaux Récupération (MNR) ont été confiées à la garde des Musées de France. Par décret en date du 30 septembre 1949, ces œuvres ne sont pas inscrites dans les inventaires des Musées nationaux, elles n’appartiennent pas à l’État, il en est seulement le détenteur provisoire. »
Certaines familles juives sont-elles encore aujourd’hui à la recherche d’œuvres qui leurs ont été spoliées pendant la guerre ? Le cas échéant, quels sont leurs recours ?
« L’absence de base de données, en France, référençant précisément les objets culturels spoliés aux familles juives m’amène à vous répondre par l’affirmative. Oui, aujourd’hui encore, des familles recherchent activement leur bibliothèque ou leur collection d’art ou bien encore d’instruments de musique. Pour tenter de recouvrir leurs biens en déshérence, les familles peuvent se faire aider dans l’espace privé par des cabinets d’avocats et des études généalogistes. Dans l’espace public, la création d’une structure publique a été exprimée lors du discours d’Edouard Philippe, Premier ministre, le 22 juillet 2018 à l’occasion de la commémoration du Vel’ d’Hiv’. Inscrit dans la droite ligne de la Commission Mattéoli, l’exposé du chef du gouvernement annonçait un renforcement des services dédiés à la restitution aux familles juives des biens culturels spoliés pendant l’Occupation auprès du ministère de la Culture. »
Quel est, selon vous, le sens 75 ans après les faits des restitutions de biens juifs spoliés lors de la Seconde Guerre mondiale ?
« La restitution des biens juifs s’entend au sein d’une mission qui, loin de s’attacher à diverses opérations comptables où la valeur numéraire d’une œuvre serait questionnée, se donnerait tous les moyens nécessaires à l’établissement de l’origine de la propriété d’une œuvre ou d’un objet culturel. Et ce afin de réparer un vol légalisé par l’aryanisation économique, qu’il soit issu des ordonnances de l’autorité occupante ou bien des lois de Vichy. L’action de restituer doit être entendue alors comme une volonté d’apporter compréhension et empathie aux familles des victimes de persécutions raciales. C’est seulement en sous-tendant une reconnaissance certaine des exactions perpétrées lors de la Seconde Guerre mondiale que la restitution peut apparaître véritablement réparatrice. C’est seulement si cet esprit de justice et d’humanité prévaut dans la cohérence de ce travail de mémoire que l’expérience de la restitution des biens appartenant aux familles juives peut tendre vers l’universalité. Il nous faut trouver une solution juste et équitable comme préconisée par les accords de Washington de 1998 dont nous fêtons cette année les 20 ans. »
Bibliographie
Découvrez la bibliographie « Sur le front de l’art » : Les collections françaises pendant la Seconde guerre mondiale, par Emmanuelle Polack.
Pensez à consulter la librairie en ligne du Mémorial de la Shoah ou à demander vos ouvrages à la librairie du musée lors de votre visite. Nos librairies se feront un plaisir de vous renseigner et de commander les ouvrages que vous recherchez si nécessaire.
Le catalogue de l’exposition est disponible sur notre librairie en ligne !
Le marché de l’art sous l’Occupation : 1940-1944, Emmanuelle Polack, ed. Tallandier
La Mission d’étude sur la spoliation des Juifs de France, connue également sous le nom de Mission Matteoli, du patronyme de son président, a été instituée par arrêté du Premier ministre le 25 mars 1997.