Nous vous proposons ici de découvrir les grandes lignes de l’exposition « Le marché de l’art sous l’Occupation, 1940-1944 » ainsi que quelques documents ou visuels qui seront présentés dans l’exposition au Mémorial.

Le contexte

À compter de l’été 1941, sur l’ensemble du territoire français, les administrations françaises confisquent entreprises, biens immobiliers, financiers et œuvres d’art appartenant aux Juifs de France. Leurs comptes en banque sont bloqués tandis que les Juifs arrêtés voient leurs biens confisqués à l’entrée des camps d’internement français.

Dépouillés de leurs biens, victimes d’une double législation, nazie et du gouvernement de Vichy, les Juifs de France se voient exclus de tous les pans de la vie politique, sociale et économique, en préambule à leur élimination physique. Le pillage des biens et la spoliation ont contribué à fragiliser et à marginaliser les Juifs de France. Privés de ressources et des moyens qui leur auraient permis de fuir, des milliers de Juifs sont pris dans la nasse des arrestations, de l’internement, puis de la déportation.

Dans le même temps, pendant l’Occupation entre 1940 et 1944, le marché de l’art est florissant en France. Une véritable « euphorie » touche tous les circuits traditionnels de transfert des œuvres d’art : ateliers, galeries et maisons de vente aux enchères publiques. Tous s’approvisionnent à Paris, où plus de deux millions d’objets transitent entre 1941 et 1942. Ces ventes, trafics et échanges d’objets réalisés parfois à des prix élevés ne sont pas sans conséquences sur la destinée des œuvres appartenant aux familles juives persécutées par la législation d’exception des ordonnances allemandes et des lois de Vichy. Les lois discriminatoires frappent également certains marchands juifs qui voient leurs commerces ou galeries « aryanisés ».

Le pillage culturel dans l’idéologie nazie

Le pillage des œuvres d’art fait avant tout partie de l’idéologie nazie. Du point de vue nazi, l’art « aryen » doit remplacer un art moderne « dégénéré », stigmatisé comme « art juif ». En pillant les œuvres d’art des pays qu’ils occupent, et en particulier celles appartenant aux Juifs, les nazis vont donc à la fois imposer leur vision idéologique et raciale. Hitler avait d’ailleurs préparé ces pillages en ordonnant que les œuvres d’art et documents ou objets de valeur « appartenant notamment à des Juifs » soient « mis en sûreté » en vue de « servir de gage pour des négociations de paix ».

Dans le Paris de l’Occupation, l’autorité occupante va donc « mettre en sécurité » dans les caves de l’Ambassade d’Allemagne, puis dans trois à six salles du Louvre et finalement au musée du Jeu de Paume, les collections les plus renommées de marchands d’art et collectionneurs juifs en France.

Photo : Tableaux spoliés entreposés dans la salle des Antiquités orientales du Musée du Louvre, Paris 1er arrondissement. France, 1940-1944

 

Des galeries d’art

La galerie B. Weill

Berthe Weill (1865-1951) est l’une des premières femmes marchandes de tableaux, métier qu’elle exerce pendant quarante ans. Elle inaugure la galerie B. Weill en 1901, au 25, rue Victor Massé (Paris, IXe arrondissement), en s’imposant d’emblée comme la principale découvreuse des talents émergents. Elle est la première à proposer des œuvres de Pablo Picasso en France et elle organise la seule exposition d’Amedeo Modigliani de son vivant. Cela lui vaudra d’ailleurs une fermeture temporaire pour outrage à la pudeur à cause des nus féminins. Berthe Weill ne fera jamais fortune. Ciblée par les attaques antisémites dans la presse, on lui attribue en 1943 dans Le Cahier jaune, « le manque complet de sens esthétique de la race juive. » Pour échapper à un administrateur aryen, elle placera une amie à la tête de sa galerie pendant l’Occupation.

 

La galerie Pierre

Pierre Loeb (1897-1964) fut aussi un précurseur. Dans sa galerie du VIe arrondissement parisien, il expose l’avant-garde : Miro, Picasso, Matisse, Gicaometti, Antonin Artaud… En 1941, alors qu’il doit céder sa galerie à un marchand de tableaux aryen, il s’arrange avec son confrère Georges Aubry, qui reprend sa galerie, en conformité avec la législation en vigueur. Pierre Loeb quitte la France avec sa famille à destination de La Havane en janvier 1942. Lorsqu’il revient à Paris, Georges Aubry est réticent à honorer leur contrat moral et lui restituer sa galerie. C’est Picasso qui devra intervenir pour faire céder Aubry.  La galerie Pierre fut restituée à Pierre Loeb en juillet 1945, conformément à l’ordonnance du 21 avril 1945 concernant la restitution des bien spoliés pendant l’Occupation.

La galerie Paul Rosenberg

Paul Rosenberg (1881-1959) est, à partir de 1908, l’un des principaux marchands de l’avant-garde en France. Sa galerie du 21, rue La Boétie (Paris, VIIIe arrondissement) sert d’écrin aux peintres cubistes sans renier toutefois les maîtres classiques. À l’aube de la guerre, la galerie est à son apogée. Paul Rosenberg a sous contrat, outre une kyrielle d’artistes, les deux maîtres du XXe siècle : Henri Matisse et Pablo Picasso.
Le 17 juin 1940, Paul Rosenberg quitte la France avec les siens, après avoir déposé 162 tableaux dans un coffre d’une banque à Libourne. Le coffre est forcé le 28 avril 1941 par les autorités occupantes. La majeure partie des œuvres spoliées du coffre est transportée au musée du Jeu de Paume à Paris et la galerie est réquisitionnée le 11 mai 1941, par l’organisme de propagande antisémite, l’Institut d’étude des questions juives (IEQJ).
Réfugié aux États-Unis, Paul Rosenberg poursuit son activité de marchand de tableaux. Dès la Libération de Paris, il part sur les traces des œuvres spoliées de sa collection. Aujourd’hui encore, une cinquantaine d’objets d’art de la collection de Paul Rosenberg est en déshérence.

L’itinéraire de René Gimpel

René Gimpel (1881-1945) se définit comme collectionneur d’art puis comme négociant de tableaux et d’objets d’art. Il déploie son activité à Paris, Londres et New York, grand marchand des impressionnistes. René Gimpel, devant la tournure des événements, décide de fermer sa galerie de la place Vendôme en 1939 et quitte Paris avec sa famille en juillet 1940. Il s’engage dans la Résistance à Marseille et tente de poursuivre ses affaires de négociant d’art depuis Cannes ou Monte_Carlo, où il réside. En 1942, un détachement de la Kriegsmarine enlève d’autorité « un lot de 81 caisses contenant divers objets, tableaux, meubles, sculptures, etc. appartenant à Monsieur René Gimpel, qui devaient être dirigées sur Monte-Carlo » lors d’une visite de ses locaux du boulevard Garibaldi à Paris. Arrêté en septembre 1942, René Gimpel est interné au camp de Saint-Sulpice-la-Pointe (Tarn). Il sera déporté le 2 juillet 1944 vers le camp de Neuengamme dans le nord de l’Allemagne, où il mourra le 3 janvier 1945.

Les salles de vente

L’hôtel des ventes aux enchères publiques de la rue Drouot

L’hôtel des ventes aux enchères publiques de la rue Drouot (XIe arrondissement) est le haut lieu parisien des ventes mobilières. En cette période de grande pénurie où tout manque, on vend de tout à l’hôtel Drouot mais le temps fort reste les grandes ventes de tableaux tant les transactions d’œuvres d’art deviennent, en cette sombre période, une valeur refuge. La surchauffe observée à cette occasion est aussi le reflet d’un afflux des marchandises, dont certaines sont issues des spoliations artistiques des familles juives. Le règlement de l’hôtel Drouot suit les directives de la préfecture de police de l’époque et l’accès aux salles de vente est donc interdit aux Juifs dès le 17 juillet 1941. 

Le pendant du marché de l’art sur la French Riviera (zone libre)

L’aryanisation des biens juifs, décrétée dès l’automne 1940 en zone occupée, s’étend également en zone libre. Partant de ce constat, les circonstances des ventes aux enchères publiques réalisées sous l’administration de Vichy sur la Côte d’Azur, à Nice tout particulièrement, permettent d’observer les ramifications d’un marché organisé.

Vous découvrirez dans l’exposition l’histoire de la vente aux enchères du « Cabinet d’un amateur parisien » au Savoy-Palace à Nice en juin 1942.

Conclusion

Dans l’immédiat après-guerre, les protagonistes français du marché de l’art, dont les pratiques suspectes ont fait florès pendant les années sombres, sont peu ou pas inquiétés. Seule une poignée d’entre eux ont à répondre de leurs méfaits et des profits exceptionnels tirés des opérations réalisées avec l’ennemi. Cherchant à se disculper, certains professionnels du marché de l’art n’hésitent pas à adopter des prises de position diamétralement inverses de celles qui ont été les leurs lors de la guerre. 

L’histoire du marché de l’art sous l’Occupation a longtemps été frappée d’une forme d’amnésie, elle croise pourtant l’histoire des pillages, des aryanisations et des spoliations perpétrés par les nazis sur le patrimoine artistique des familles juives de France.

À l’occasion de la commémoration de la rafle du Vél’d’Hiv le 22 juillet 2018, le Premier ministre Édouard Philippe a annoncé l’engagement de l’État en faveur des victimes de spoliations antisémites